Colombie: Farc, de la kalach à l'attaché-case

Paru le 28 Novembre 2012
dans Charlie Hebdo
Localisation : Amérique du sud

Les guérilleros et le gouvernement viennent d'entamer des négociations. Les gages donnés par les deux camps laissent, enfin, imaginer un retour inéspéré vers la paix
Est-ce encore là un énième pour-parler de paix qui ne portera aucun fruit ? Pas si sûr. Depuis le 19 novembre, les membres des Forces Armées Révolutionnaire de Colombie (FARC) sont assis autour de la même table que des représentant du gouvernement à la Havane, à Cuba. Les derniers pour-parlers datent de 10 ans. Lors des négociations de Caguan entre 1998 et 2002. Les visions divergent sur les cinq thèmes abordés lors de ce processus de paix : la répartition des terres agricoles, la participation à la vie politique, la réintégration des membres des FARC à la vie civile, la politique contre le narcotrafic, le droit des victimes.

Et pourtant le contexte est plus que jamais favorable. « Les FARC se sont rendu compte qu'ils ne pourront jamais prendre le pouvoir par les armes » assure le journaliste français Roméo Langlois retenu par la guérilla en mai dernier. « Hugo Chavez a été élu pour un quatrième mandat au Venezuela, Rafael Correa a de très fortes chances de se succéder à lui-même en février... Ce sont autant d'exemples pour les guérilleros qui démontrent que la gauche peut vaincre en démocratie » abonde Ariel Avila, le responsable des enquêtes de l'Observatoire du conflit Armé du groupe de recherche colombien Nuevo Arco Iris.

Après presque un demi-siècle de combats, le conflit armé a fait 600 000 morts selon le gouvernement et 3,7 millions de déplacés selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies. Aucun des deux adversaires n'est capable de prendre définitivement le dessus sur l'autre. L'ex-président colombien, Alvaro Uribe (président de 2002 à 2010) et sa politique pour le moins sanglante ont infligé de sérieux revers à la guérilla. Mais si elle est affaiblie « elle n'est pas non plus vaincue », comme le note le spécialiste du conflit colombien Luis Eduardo Celis, lui aussi de Nuevo Arco Iris. Pour Roméo Langlois il y aurait une forte présence FARC « dans au moins 2/3 des départements du pays, surtout dans les zones rurales ». « A terme ils sont voués à l'échec mais dans combien de temps ? 5 ans ? 10 ? 15 ? Cela oblige le gouvernement à trouver une sortie par le dialogue », poursuit Luis Eduardo Celis. Et le président colombien actuel Juan Manuel Santos n'est pas Alvaro Uribe : « Il a moins la haine des FARC et je suis persuadé qu'il veut entrer dans l'Histoire comme l'homme de la paix », affirme le journaliste.

Les FARC ont donné des gages de leur bonne volonté. Pour faciliter le dialogue ils ont déclaré une trêve unilatérale jusqu'au 20 janvier, en début d'année ils ont officiellement renoncé à tout enlèvement contre rançon, libéré les derniers policiers et militaires retenus en captivité. De son côté le gouvernement, sans participer pour autant à la trêve, avait reconnu une part de ses responsabilités dans le conflit et en mai 2011 une loi permettant d'indemniser des familles déplacées avait été votée.

Alors peut-on aller jusqu'à imaginer des anciens membres des Farcs au Parlement ? Et pourquoi pas ? Le gouvernement colombien se dit prêt : « Les FARC transformés en parti politique légal ont leur place » lancait Humberto de la Calle, négociateur en chef de l'Etat et vice président de Colombie entre 1994 et 1998. Les concernés en sont-ils capables ? « Ils ont les leaders, la capacité d'organisation... Ils peuvent gagner un plus grand espace politique » soutient le spécialiste Luis Eduardo Celis et de noter que le maire de la capitale Bogota est issu de la défunte M-19 une guérilla urbaine. Les partis politiques clandestins créés par les FARC comme le parti communiste colombien clandestin ou le mouvement bolivarien pourraient être légalisés. La Marche patriotique, qui réunit de nombreuses organisations, et aspire à se tranformer en parti politique, pourrait accueillir certains de ces membres. Mais au préalable il reste à définir les responsabilités des guérilleros dans les crimes perpétrés. Un député siégeant à l'assemblée alors qu'il est poursuivi par Interpol ferait mauvais genre.