Equateur-Amélie Leman, au coeur de l'Amazonie

Paru le 9 Février 2011
dans www.expatlive.com
Localisation : Amérique du sud

« Chaque matin, en regardant la forêt et le río Napo, je me rends compte de la chance que j’ai de vivre ici, de respirer cet air pur, de sentir l’eau fraîche de la rivière. » Amélie a 27 ans. Depuis cinq ans déjà elle vit dans la communauté indienne de Shiripuno, un ensemble de maisonnettes et de champs qui se sont taillés une place à force de labeur au creux de la forêt amazonienne équatorienne. Son enfance, Amélie l’a vécue dans les Yvelines, bien loin des remous du río Napo. Pourtant, aujourd’hui, sa vie est en Amazonie.

LE GOÛT DE L’AMERIQUE LATINE

C’est un peu le hasard qui l’a menée ici, mais un de ces hasards que l’on force. « J’ai toujours aimé rencontrer des personnes différentes. J’ai toujours été curieuse de découvrir d’autres ethnies, d’autres cultures, d’autres paysages. » Ainsi, étudiante, elle était membre d’une association, Aide Universitaire, avec laquelle elle partait, deux à trois mois chaque été, faire du soutien scolaire ou des animations dans les orphelinats à l’étranger. D’abord à Madagascar, deux fois, puis en Inde, à Calcutta, et enfin au Guatemala. « Ce dernier voyage m’a donné le goût de l’Amérique Latine, et l’envie de connaître un pays où la population indigène serait très forte, un pays dont je n’aurais pas beaucoup entendu parler. » Ce sera l’Equateur, en septembre 2005.

PLANTATIONS DE BANANES

D’abord, elle y était venue pour six mois, s’était tout de même inscrite par correspondance à sa troisième année de licence d’espagnol à Toulouse. Comment prévoir qu’elle resterait ? Très vite, elle s’est dirigée vers la forêt, participant, trois mois durant, à un projet de reforestation dans une communauté Shuar, ces indiens d’Amazonie que les Espagnols nommèrent Jivaros. «  Dans ce petit village, Santa Ana, nous ne faisions que planter des arbres, faire la cuisine, laver le linge dans la rivière au milieu du chant des oiseaux et du bruit de l’eau, travailler dans les plantations de bananes pour aller les vendre en ville le week-end », se souvient-elle.
A trois heures de routes au nord de Santa Ana s’étend Puyo, 25 000 habitants, l’une des villes les plus importantes de l’Oriente, l’Amazonie équatorienne. Amélie y rencontre Téo. Il travaille dans un laboratoire produisant des sérums antivenimeux qu’il n’est pas nécessaire de réfrigérer, condition indispensable pour en doter les villages les plus reculés d’Amazonie. Téo lui parle souvent de son village, Shiripuno. De l’association de femmes, de l’artisanat, de leur projet de tourisme communautaire. Séduite, Amélie part pour Shiripuno.

TOILES D’ARAIGNEES

Cela fait donc maintenant cinq ans qu’elle y vit. Avec Téo, devenu guide, ils se sont mariés, ont eu deux enfants. Huaïra Kausay, « air et vie », a presque deux ans et demi, il est tout blond comme sa mère. Yaku Pakarina, « eau et naissance » est une petite fille. Elle a à peine deux mois.
A son arrivée, « les habitants m’ont accueillie à bras ouverts », souligne Amélie. Bien sûr, ils se sont moqués, un peu, de cette fille plus grande qu’eux qui, lorsqu’ils marchent ensemble dans la forêt, se prend toujours les toiles d’araignées. De cette fille qui « ne savait pas écailler les poissons, ni laver le linge dans la rivière, monter aux arbres, reconnaître les fruits mûrs ou pas… » Et c’est ce qui lui plaît aussi, à Amélie, « cette vie où tout le monde rit et vit ensemble, où tout le monde se mélange, les enfants, les jeunes, les adultes ». A la croire, rien n’y est difficile, à part ces « petits moucherons qui me grignotaient les jambes » et la langue bien sûr, le quichua, qu’elle ne maîtrisait pas. « Lors des longues réunions, les femmes se concertaient toutes en quichua pendant plusieurs minutes puis me donnaient la réponse finale en espagnol, raconte-t-elle. J’aurais aimé comprendre les réflexions et les doutes de chacune. »

MILLES SECRETS

Les femmes… C’est avec elles qu’Amélie se retrouve le plus souvent. Il y a les tâches du quotidien à accomplir, le linge, la cuisine… Et puis elles l’ont sollicitée pour les aider à constituer une association, à organiser des réunions, à leur servir d’intermédiaire avec les autorités quand tout prend du temps, que l’administration brille par sa lenteur et sa complexité. « Passer du temps avec les femmes est mon plus grand plaisir. Parler, rigoler, travailler. Je suis heureuse avec elles, je continue à apprendre de tous leurs savoirs et de leurs mille secrets. »
Ces femmes qui, après avoir suivi des cours d’alphabétisation organisés dans la communauté, ont toutes obtenu leur diplôme de fin d’école primaire. « Des traits de fierté se dessinaient sur leur visage. » Ces femmes, dont le plus gratifiant pour Amélie est de les écouter, elles qui « toute la journée travaillent sans arrêt dans les plantations, préparent les repas, lavent des montagnes de linge, s’occupent de leurs nombreux enfants enceintes ou avec un petit dans les bras, se battent pour payer l’éducation de leurs enfants, le transport des plus grands pour aller au collège. Se battent pour leur offrir une nourriture plus diversifiée, et toujours avec le sourire, sans jamais se plaindre. »

DE GRANDS HOMMES

Ces femmes et leurs hommes, pas toujours à la hauteur. Amélie évoque ce « trop d’alcool de temps en temps, pendant que la maman joue son rôle plus celui du papa ». Et cette peine qu’elle éprouve aussi, à voir certaines épouses « souffrir du poids de leur mari et de leur soumission. Pas le droit d’assister aux réunions, de sortir de la maison… Ça en concerne très peu mais je ressens le besoin de chacune de se retrouver entre femmes, de s’épanouir dans un groupe. » Pourtant, elle excuse vite, « lorsqu’ils travaillent les hommes ne font pas semblant. Ce sont de grands hommes ! »
Faut dire qu’à Shiripuno, on bosse dur. Et on se lève tôt, avec le soleil, vers 4 heures du matin. Et ce rythme-là, Amélie ne s’y est pas pliée. « J’aime dormir le matin », concède-t-elle sans honte. Intégrée, elle a tout de même gardé des pratiques, des envies, des réflexes même issus de sa culture européenne. Comme celui d’emmener les enfants chez le médecin dès que les plantes médicinales tardent trop à faire effet. Ou de se ménager des moments de solitude, alors qu’eux « ne peuvent concevoir de rester seuls un seul instant ».

COUPER L’HERBE DU TERRAIN DE FOOT

Le groupe en effet, c’est le cœur de la communauté. Comme tous à Shiripuno, Amélie participe aux « mingas », les journées de travail communautaire où chacun met la main à la pâte pour nettoyer, couper l’herbe du terrain de foot, rénover l’école… « Comme dans toutes les communautés alentours, explique Amélie, la vie quotidienne à Shiripuno est partagée entre traditions et modernité. Entre les coutumes ancestrales – la pêche, l’artisanat, la recherche de l’or, la cuisine au feu de bois… -, et les nécessités modernes, l’éducation des enfants, les démarches administratives, l’apprentissage des nouvelles technologies… »

TOURISME COMMUNAUTAIRE

Amélie s’est ainsi engagée dans l’un des grands projets de Shiripuno, le tourisme communautaire. Une grande case accueille les visiteurs, on leur propose des excursions dans la forêt d’un à plusieurs jours et mille autres activités encore. Apprendre, par exemple, à fabriquer du chocolat, à reconnaître les plantes médicinales, participer aux travaux agricoles, assister à des représentations de danse traditionnelles et même s’essayer aux substances hallucinogènes avec le shaman. Des volontaires étrangers viennent aussi donner un coup de main. Dès son arrivée, Amélie s’est investie dans ces projets, informait les habitants sur ce qui se faisait ailleurs, sur ce qu’attendent les touristes. « Adapter l’offre à la demande, résume-t-elle, mais surtout en changeant le moins possible le côté naturel des habitants et leurs coutumes. »

DANS L’OMBRE

Aujourd’hui elle agit toujours, mais dans l’ombre plutôt. Elle confesse que sa relation avec les visiteurs est « parfois un peu spéciale ». « Lorsque ce sont des Equatoriens, j’ai tendance à me cacher car c’est moi qui devient l’attraction : une blanche dans une communauté indigène ! Alors que l’attraction ce sont les femmes de Shiripuno. Lorsque ce sont des étrangers, je ne me montre pas trop non plus parce qu’ils viennent ici pour passer du temps avec les locaux, pas avec une française. Parfois cependant ils me posent des questions qu’ils ne poseraient pas aux habitants, et nous avons alors des discussions intéressantes. »
Le rôle d’Amélie se joue plutôt à une paire de kilomètres de Shiripuno, dans le micro bourg de Puerto Misahualli. Une poignée de boutiques et d’hôtels-restos, un mini port où s’amarrent les pirogues, des singes chapardeurs sur la place centrale. C’est ici que s’arrête le goudron, et avec lui les bus venus de Tena, la ville la plus proche. Et c’est donc là que se trouve le bureau de l’agence Teorumi, qui gère en amont toutes ces activités touristiques.
« Je m’occupe de répondre aux messages, d’essayer de faire la promotion… détaille Amélie. C’est mon rôle précis dans le projet de tourisme communautaire, en plus de me charger des courses puisque je suis sur place. » Et de ce projet en naissent d’autres, peut-être demain celui d’un magasin de commerce équitable où vendre les produits fabriqués ici. Un moyen d’apporter une ressource complémentaire aux familles indigènes et d’offrir une alternative à la déforestation. « Le bois, précise Amélie, est souvent le seul revenu en dehors de l’agriculture. »

GARDER LE CONTACT

De tout cela la France paraît bien loin. Et elle ne manque pas à Amélie. Enfin, pas le pays, mais les gens si. « Nous essayons de retourner là-bas tous les deux ans. En France et en Belgique, d’où vient ma mère. Il est très important pour moi de garder contact avec ma famille et mes amis. J’ai la chance de voir mes parents retraités une fois par an, […] mais peu de mes amis ont la possibilité de voyager », confie-t-elle.
Et puis il y a les enfants, et Téo aussi, à qui elle veut faire découvrir « les endroits qu’[elle] aime ». « C’est une chance pour moi d’être mariée à quelqu'un de si différent de par sa culture, son éducation, son lieu de vie, et je pense que c’est une chance aussi pour nos enfants d’avoir des parents si différents. Ils auront des modèles d’éducation différents, et j’espère la possibilité et l’envie de connaître les deux pays et de choisir celui qui leur plait le plus. Téo et moi essayons de leur faire profiter de tout ce que nous aimons, la vie dans la nature mais aussi les curiosités qu’il y a en ville, la vie en communauté et le bonheur de passer des moments simples ensemble, lire des livres, travailler dur dans les plantations sous le soleil… Autant nous sommes deux personnes très différentes, autant il est important que nos enfants découvrent et s’enrichissent de nos différences. »

LA VIE A CHAQUE SECONDE

Ainsi, malgré les caprices du río Napo qui parfois se plaît à sortir de son lit, Amélie n’envisage pas de quitter Shiripuno. « Ici on sent la vie à chaque seconde, tous sont heureux avec la moindre petite chose ! savoure-t-elle. Je suis heureuse que nos deux enfants puissent grandir ici et j’espère que la vie ne se modernisera pas trop vite, car avec la modernisation naissent de nouveaux besoins et lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, se créent le manque et la tristesse. » C’est pourtant cette modernité qui les poussera peut-être bientôt, elle, Téo et les enfants, à s’en aller. L’Etat équatorien s’est lancé dans la construction d’un aéroport international au cœur de la forêt, à 30 km à peine de Shiripuno. Le ronflement des réacteurs pour couvrir le chant des oiseaux ? Très peu pour Amélie. « Si la région s’urbanise trop, nous irons éventuellement nous enfoncer plus loin dans la forêt. »

Site Internet de la communauté de Shiripuno : http://shiripuno.free.fr

Romain Meynier