Le Venezuela, pays des filles-mères
Au Venezuela, 60 % des mères éduquent seules leurs enfants. Ce pays connaît également le plus fort taux de mères adolescentes de sa région. CARACAS de notre correspondant
Au Venezuela, 60 % des mères éduquent seules leurs enfants. Ce pays connaît également le plus fort taux de mères adolescentes de sa région. CARACAS de notre correspondant
À 24 ans, Milagros Acuña, mère de deux enfants de 6 et 2 ans, se dit chanceuse : le père de son second enfant a quitté le ménage mais il l'aide économiquement. « Le premier est parti quand j'étais enceinte, sans explication. Il baisse la tête quand je le croise », raconte la jeune femme. « Je m'en sors. J'ai beaucoup d'amies qui sont seules et ont beaucoup plus d'enfants que moi », poursuit-elle. Au Venezuela, 60 % des mères sont célibataires selon l'Association vénézuélienne pour une autre sexualité (Avesa), une ONG créée en 1984, dont la mission consiste à sensibiliser les personnes à une sexualité responsable et accompagner les victimes de violence domestique et sexuelle.
Dans les rues de Caracas il est rare de voir un homme avec un enfant dans ses bras. Dans les hôpitaux ou les centres de santé, encore plus. À Antimano, quartier pauvre de la capitale, l'organisation Cania lutte contre la malnutrition infantile. Dans le hall d'entrée, une centaine de personnes attendent un rendez-vous avec le médecin mis à disposition. Pas un seul homme n'est présent.
La responsable du service nutrition, Dilcia Esquivel, s'avoue désarmée : « Nous essayons de faire participer les pères quand ils n'ont pas déserté le couple. Mais la plupart ne font pas confiance aux programmes que nous organisons. Au contraire, beaucoup culpabilisent leurs épouses qui s'absentent du foyer pour suivre des stages nutritionnels. » « Ici l'image du père responsable, qui participe à l'éducation de ses enfants, n'existe même pas », assène le docteur Alicia Garcia de Cordova, représentante vénézuélienne du Centre latino-américain de la santé et de la femme (Celsam), ONG présente dans toute l'Amérique latine. « Les hommes reproduisent la situation de leurs parents » , explique-t-elle.
Ce cercle vicieux est alimenté par une sexualité précoce. Le Venezuela est le pays d'Amérique du Sud qui détient le record de mères adolescentes. D'après la Société vénézuélienne de puériculture et de pédiatrie, 20 % des accouchements enregistrés en 2009 concernaient des adolescentes. Si les enquêtes sur le sujet sont rares, la spécialiste assure qu'en moyenne le premier rapport sexuel se situe entre 12 et 14 ans. Elle attribue cette sexualité précoce à un manque d'éducation.
Les mères adolescentes sont pour la plupart issues de classes sociales basses et vivent à la périphérie des villes. « Elles connaissent l'existence des moyens contraceptifs mais n'y ont pas accès », soutient Alicia Garcia de Cordova. D'après le Celsam, la moitié des grossesses ne sont pas désirées. L'avortement étant interdit, beaucoup de femmes décident d'avorter seules à leurs risques et périls. Ces mères seules et jeunes abandonnent rapidement leur scolarité. Yomari Villasona, 19 ans et mère d'un garçon de 3 ans et d'une fille de 2 mois regrette ne pas être allée au-delà du lycée. Mais depuis peu elle repense à reprendre des études. Elle travaille ou sein de l'organisation Aldeas infantiles SOS, qui a construit des garderies dans le monde entier. Yomari est une « mère sociale » ou plus officiellement « mère de substitut ». Comme elle, des femmes gardent les enfants des mères travaillant la journée ou éduquent des orphelins durant plusieurs années, que ce soit par leur propre initiative ou comme Yomari au sein d'organisations. « Cela m'aide dans ma vie de mère. Financièrement bien sûr (Yomari gagne 1 000 bolivars par mois, 163 €) mais pas seulement. Dans ce centre, j'ai appris à éduquer mes propres enfants », raconte-t-elle. Elle pense d'ailleurs reprendre ses études profitant à son tour de ce genre d'initiative.
Yomari la combative et ses projets personnels ne sont pas la norme au Venezuela. Les programmes de l'État socialiste essaient pourtant d'encourager les femmes, perçues en priorité comme des mères ou de futures mères. Le 28 juillet le président Chavez a expliqué qu'« il n'y (avait) pas de socialisme complet sans la libération de la femme ». Il venait d'annoncer de nouveaux financements pour les mères afin qu'elles puissent s'équiper d'appareils électroménagers…