Malte-Gozo, le sable et le goupillon
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REPORTAGE
Gozo, la mer et les poissons, les saints et leurs processions. Sur la deuxième île de l'archipel maltais, petit bout de paradis et terre d'invasion, on se raccroche à l'église pour, malgré les soubresauts de l'histoire, toujours rester chez soi. En faisant la fête, évidemment.
Assis sur leurs chaises pliantes à l'ombre de l'immense église, quelques anciens espèrent un brin d'air, indifférents à la frénésie qui saisit le village. Autour d'eux pourtant, malgré la chaleur partout on s'affaire, des gamins aux adultes, des cafetiers aux grenouilles de bénitiers. Xagħra (prononcer Chaara), quelques milliers d'âmes au cœur de Gozo - la petite sœur de Malte – prépare sa festi, sa fête patronale. Chaque 8 septembre, Maria Bambina, la Vierge Marie, parcourt le village à dos d'homme. A Gozo comme à Malte, tout au long de la belle saison, les festi et leurs processions s'enchaînent, chaque village fête son saint patron.
C'est qu'ici, sur cet archipel égaré entre Sicile et Lybie, la religion catholique est bien plus qu'une croyance, bien plus qu'une foi. C'est un phénomène social, une tradition, un socle qui soude la communauté. Sur Gozo, deuxième île de l'archipel maltais avec seulement une trentaine de km2 pour 34 000 habitants, chaque village, aussi petit soit-il, s'enorgueillit d'une gigantesque église qu'on nommerait chez nous cathédrale. Tout n'est que marbre, dômes, flèches majestueuses, néo gothique et baroque qui s'entremêlent au gré des dorures, sculptures et colonnades taillés dans la pierre locale au teint de miel, la globigérine. Ainsi, on compte pas moins d'une église pour 1 000 habitants. Sans doute un point de repère, refuge immuable face à une histoire faite de colonisations successives, des Romains aux Anglais en passant par Napoléon et, bien sûr, les fameux chevaliers de l'Ordre de Malte, réfugiés ici après avoir été chassés de la Terre Sainte.
EMPREINTES
Tant de passages sur une si petite terre, c'est autant d'empreintes laissés par l'histoire, du temple mégalithique de Xagħra justement, à la citadelle de Victoria – la capitale - qui surplombe Gozo de ses lourdes murailles encerclant la cathédrale, la vraie celle-ci. Si peu de place et tant de richesses, sans doute tout le paradoxe de la belle Gozo, le grenier de l'archipel maltais, verdoyant au printemps, sec et brûlant l'été. Ici, on hisse les drapeaux de la fierté nationale avec ceux de l'église. Ils viennent claquer près des étendards des Etats-Unis, du Canada ou de l'Australie que les ex émigrés de retour au pays plantent sur leur toit plat, fiers de montrer à tous où ils ont fait fortune. Ici, on construit du neuf comme si c'était du vieux, si bien qu'à peine bâtie une villa semble patinée par les siècles. On quitte les ports de pêche promus modestes stations balnéaires et leurs enfilades de restos eux aussi marqués du sceau des invasions, des cuisines du monde, pour retrouver l'isolement d'une crique oubliée, d'un arche de roche plongeant dans les eaux cristallines. Ici, on pêche à la cage dans des baies splendides, toujours gardées par une tour carrée, dernier rappel des anciens temps guerriers. On y recycle les hangars à bateaux taillés dans la roche en baraques de plage, rendez-vous dominical pour pique-nique familial.
Et, à l'heure des pavillons de complaisance, du passage à l'euro et des immigrés clandestins échoués sur ce qui a toujours été la porte de l'Europe, pour ne pas perdre son latin on se tourne vers l'église, toujours plus belle, toujours plus grande que celle du village voisin. Quand on vit du tourisme, que la barque traditionnelle emporte vers les large des plongeurs en bouteilles venus du continent, quand les gamins du village sautent des rochers où bronzent des amoureux venus de Berlin ou de Rome, quand le tireur de lapins doit prêter attention aux randonneurs, on se tourne encore et toujours vers le vieux dieu et ses saints, eux qu'on placarde en mosaïque sur les murs des maisons.
NUIT BLEUTEE
A Gozo, on aime les étrangers, on aime leur parler, leur sourire. Dans le fond, occupants hier ou touristes aujourd'hui, toute proportion gardée on a toujours vécu avec eux. Mais, ici comme ailleurs, on aime aussi se rappeler qu'on est chez soi. Avec – pourquoi pas ?- une lourde vierge sur un pavois comme carte d'identité. Alors, puisqu'aujourd'hui c'est au tour de Xagħra de célébrer sa festi, la nuit, paré de ses plus beaux atours, ce paisible village de l'intérieur fait concurrence aux étoiles et brille de milliers de lueurs bleutées.
Le jour J, les préparatifs enfin achevés, le village s'est travesti en un immense décor d'opéra baroque. Dans les ruelles du centre, les marchands du temple ont sortis leurs stands, burger frites, chinois à emporter, glaces et pâtisseries. Sur l'horloge de l'église – celle de droite, pas celle de gauche aux aiguilles mal placées pour tromper le diable -, l'heure de la fête approche. A l'intérieur, la messe bat son plein. Pour que tout le monde puisse voir, et pour que l'on puisse respirer, les lourdes portes sont restées ouvertes. Les femmes tentent de se rafraîchir en agitant leurs éventails. Sur le parvis, les gamins se courent après, vêtus de tee-shirts à l'effigie de la Vierge. Ce soir donc, on fête Maria Bambina, la sainte patronne du village. C'est son anniversaire, et aussi celui du Victory Day, le jour de la victoire. Ce jour où, en 1565, les chevaliers de l'Ordre de Malte défirent les troupes turques après cinq mois de siège de l'archipel, marquant le coup d'arrêt de l'expansion ottomane dans l'Occident chrétien.
On communie, la messe se termine. Dans les flèches, des jeunes sonnent les cloches à la main. La foule descend la rue principale, se dirige vers la chapelle, la deuxième église du village, environ un kilomètre plus bas. Là-bas, sur son pavois, la statue de Maria Bambina attend le signal du départ. Sur la placette, jeunes, vieux, la foule est agglutinée. Aux balcons, on s'entasse aussi, on jette des kilos de confetti. En uniforme, les fanfares paroissiales piétinent tandis que des jeunes distribuent des batonnets incandescents.
BELLE VERTE
En shorts, l'artificier bedonnant allume des soleils, des feux d'artifice rotatifs. Ça claque, ça pétarade, les structures vibrent et ça impressionne. Pas autant que les vrais feux d'artifice, tirés d'un toit juste au-dessus de la placette. On se tord le cou pour bien voir, mais la belle verte redescend en flammèches sur la foule. C'est la cohue, la place se vide, chacun se frottant les cheveux craignant qu'ils prennent feu. Et puis ça y est, c'est le départ. Le chef d'orchestre va taper sur l'épaule du petit jeune à la caisse claire, des plus vieux à la trompette, « Number ten, everybody, number ten ». A l'appel de la grosse caisse la musique démarre. On lâche sur la foule des centaines de ballons bleu et blanc, emprisonnés jusque là dans un filet tendu au dessus de la placette. Femmes, enfants, tout le monde se jette dessus, les éclate à grands coup de pieds, à grands coups d'ongles. Du haut des balcons on déverse du papier et encore du papier. En bas on allume les bâtonnets incandescents. Un groupe de jeune se met à chanter, frappe dans ses mains. Et au milieu, la Vierge, sur son pavois. Six hommes la soulèvent, posent sur leurs épaules les manches qui dépassent du pavois. Elle a l'air lourde Maria Bambina.
La foule est compacte, la rue étroite. Il faudra trois heures aux six gaillards pour remonter la rue jusqu'à la place de l'église dans un joyeux bordel, bien plus festif que fervent. Sous l'œil de policiers débonnaires, Maria Bambina arrive enfin, joue des coudes pour fendre la foule jusqu'au socle qui l'attend, face à l'église, en plein cœur de la place. Les six porteurs la déposent sur un mini monte charge. La fanfare entame une marche solennelle. On allume de nouveau les bâtonnets incandescents et, par petits à-coups, la Vierge rejoue son ascension. Une fois sur le socle, deux hommes la boulonnent. Elle a tenu jusque là, faudrait pas que maintenant elle tombe. Ça y est, Maria Bambina domine la foule, saluée par un énième feu d'artifice. Mais celui-là, on le tire à l'écart.
Romain Meynier
PRATIQUE
Y aller
De Paris comme de Marseille, de nombreuses compagnies aériennes s'envolent pour Malte pour moins de 250 euros aller/retour. Pour rejoindre Gozo depuis Malte, des bus mènent de l'aéroport à l'embarcadère de Ćirkewwa d'où part le ferry. Sur place, les distances ne sont pas bien importantes. Avec un peu de temps, on peut tout faire à pied, en vélo, ou avec les bus locaux. Si vous souhaitez louer une voiture, sachez que les anglais ont laissé en souvenir à leur ex colonie la conduite à gauche.
Dormir
On trouve sur Gozo des formes d'hébergements pour tous les goûts et pour toutes les bourses – camping excepté -, de la pension de famille souvent coquette à l'hôtel chic et cher avec piscine. Une autre solution, très prisée des Maltais, les farmhouses, des maisons à louer. La majorité des hébergements sont regroupés sur Xlendi et Marsalforn, les deux coquettes stations balnéaires de l'île.
Manger
Si l'on passe sur l'héritage britannique, les diverses invasions de l'île ont accouché d'une cuisine du soleil à ravir les papilles. Toutes les influences de la Méditerranée se retrouvent dans l'assiette et s'arrosent de vins locaux plus qu'honnêtes.
Parler
Anglais, italien si vous préférez, français parfois. Tourisme et émigration oblige, les Maltais sont souvent polyglottes.
Lire
Le Guide du Routard Malte.