Mayotte- Immigration clandestine : Traqués et exploités, l'enfer des boat peoples

Paru le 1 Décembre 2007
dans Africa International http://www.africa-internationa...
Localisation : Afrique, Europe de l'ouest

ENQUÊTE

16 000 reconduites à la frontière en 2006, autant attendues en 2007, quand le gouvernement Fillon en exige 24 000 en métropole. Un nombre de clandestins estimé à un quart de la population totale de l’île, près de 200 000 habitants. A Mayotte, les chiffres impressionnent. Sur ce bout de terre français de 374 km2 de l’archipel des Comores, au nord de Madagascar, l’immigration clandestine est un drame quotidien. A bord de barques de résine, des milliers de Comoriens tentent au péril de leur vie de rejoindre ce nouvel El Dorado, rêvant d’une vie meilleure pour n’y trouver que la peur des contrôles de police et l’exploitation de leur misère, sur fond de tensions sociales et diplomatiques.

Kwassa-kwassa. A Mayotte, ce mot est dans toutes les bouches, focalise l’attention des services de sécurité et des hommes politiques, fait gronder la rue et s’émouvoir les métropolitains fraîchement débarqués, gonfle les chiffres des naissances à la maternité et les piles de dossiers de régularisation sur les bureaux de la préfecture. Pourtant, « personne ne sait vraiment ce que veut dire kwassa-kwassa, lâche Prince, un jeune immigré clandestin de 21 ans, débarqué à Mayotte le 11 septembre 2001. Un kwassa, c’est entre la vie et la mort. Juste une barque. » Une barque oui, une barque en résine de 7 mètres de long propulsée par des petit moteurs de 15 à 30 chevaux, sur laquelle on s’entasse à parfois plus de quarante pour traverser les 70 kilomètres d’Océan qui séparent Anjouan, l’une des trois îles des Comores indépendantes, de sa voisine sous administration française. Beaucoup de ces kwassa – combien ? Personne ne le sait – n’arrivent jamais à destination, victimes de la mer. A Mayotte, on dit que lorsque la concentration en requins augmente, c’est qu’un kwassa a chaviré.
Pourtant ils sont nombreux encore à risquer la traversée, à payer toujours plus cher – jusqu’à 250 euros – pour tenter leur chance sur cet îlot d’une richesse toute relative perdu au milieu d’un océan de misère. Sur cette île où le Smic plafonne désormais à 821 euros brut, quand à Anjouan le salaire minimum mensuel ne dépasse guère les 25 euros.
Ces gens fuient la misère, l’instabilité politique – en novembre dernier, le pouvoir d’Anjouan était désigné illégal par l’Union des Comores et l’Union africaine -, cherchent à travailler, à bénéficier de soins, à accoucher sur le sol français. Condamnés à être clandestins, avec une chance infime d’être régularisé. Car Mayotte applique son propre droit de l’immigration, sans regroupement familial ni prise en compte de l’ancienneté sur le territoire. Etre en attente d’un rendez-vous pour déposer son dossier de demande de titre de séjour ne protège pas d’une expulsion. Et, même si les services de la préfecture traitent les demandes au cas par cas en adaptant parfois le droit, la seule arrivée illégale sur le territoire – par kwassa – interdit dans les textes toute régularisation.

MAYOTTE, LA « TRAITRESSE »
Pourtant, pour ces Comoriens, arriver légalement à Mayotte relève de l’impossible. Depuis 1995, l’instauration d’un visa obligatoire par le gouvernement Balladur a bloqué les possibilités de circulation dans l’archipel entre les Comores indépendantes et Mayotte « la traitresse ». La seule des quatre îles ayant refusé, en 1975, d’accéder à l’indépendance. Depuis, l’Union des Comores revendique ce « territoire sous occupation », cette quatrième étoile sur son drapeau. Plus de vingt résolutions condamnant la France ont été votées à l’Onu, aucune n’a aboutit. Les Mahorais veulent rester français, accéder au statut de département et les écarts de développement avec leurs voisins se creusent. Les relations diplomatiques sont tendues, freinant le co-développement, prises dans la toile d’araignée de deux revendications de souveraineté sur le même territoire, Mayotte, et d’affrontements internes à l’Union, entre Grande Comore et « Anjouan la rebelle ». Après vingt ans d’instabilité et de coups d’Etats, parfois soutenus par Paris via le tristement célèbre Bob Dénard, les Comores restent dramatiquement pauvres. Malgré l’argent investi aujourd’hui par la France (88 millions d’euros pour la période 2006-2010), les grandes infrastructures (hôpitaux, routes…) ne sont encore souvent qu’à l’état de projets. Le chômage grimpe et les kwassa continuent de débarquer sur les plages de Mayotte.

FRERES ENNEMIS
Les clandestins y retrouvent souvent des membres de leur famille, présents plus ou moins légalement, et un peuple à l’histoire, à la langue, à la religion, à la culture en somme si proche de la leur. Ainsi, entre Mahorais et Anjouanais on s’entraide. On se hait aussi.
A Mayotte, le Smic a doublé en quatre ans. Mamoudzou, la capitale, se hérisse de grues. Pris dans leur propre évolution, dans l’accélération de leur développement, générateur de richesse mais aussi de perte de repères, de conflit entre générations, les Mahorais reprochent à leurs cousins immigrés tout ce qui fonctionne mal.
« L’Anjouanais c’est un peu l’équivalent de l’Arabe en métropole », ose Michel Rhin, président du Réseau Education Sans Frontières de l’ile de Mayotte (Resfim). « Nous sommes victimes du mot qui fait mal : clandestin, confirme Prince, le jeune immigré. Nous sommes mal accueillis, on nous dit rentrez chez vous, vous avez choisi d’être indépendants alors débrouillez-vous. Ça me fait mal au cœur. Tous les Mahorais sont Comoriens. On me traite de clandestin, alors que c’est comme si je venais d’un autre quartier d’une même ville. »

DE L’ENTRAIDE A L’EXPLOITATION
Mohammed Abdou, Comorien naturalisé français, secrétaire général de la Coordination pour la Concorde, la Convivialité et la Paix (CCCP) qui oriente les immigrés clandestins dans leurs démarches, tempère ce constat : « A Mayotte, tout est instrumentalisé. Un Mahorais ne peut pas s’afficher aidant un clandestin. On dit, par exemple, qu’ils prennent la place des enfants mahorais dans les écoles. Mais c’est pareil dans toutes les familles. On s’insulte et puis après on fait la fête et l’amour ensemble. Dans le quotidien, individuellement les Mahorais aident les immigrés. Ils leurs donnent des terrains pour construire leurs baraques, leur fournissent du travail… »
Ainsi, on retrouve des travailleurs clandestins dans tous les secteurs de l’économie : employés de maison, dans le bâtiment, la pêche, la restauration, le commerce, les taxis, l’agriculture… « On ne recense que que 25 employés agricoles déclarés pour toute l’île, déplore Didier Périno, à la tête de la direction du travail. Le travail clandestin concerne des milliers de personnes, souvent exploitées. Ils peuvent travailler jusqu’à soixante heures par semaine pour 200 à 300 euros par mois. Les peines pour les employeurs ne sont pas assez dissuasives. Il y a, par exemple, un potentiel de 5 000 employés de maison, et seulement 1 200 sont déclarés. Quand on a voulu régulariser en masse les pêcheurs, il a fallu créer un sous-smic et certains patrons ne le versaient en intégralité qu’une fois par an, le jour du renouvellement du titre de séjour de leur employé qui doit alors montrer ces fiches de paie. » L’entraide devient ainsi exploitation. Pas de papiers, pas de travail légal. Quand on a faim, quand on ne veut pas voler, on peut tout accepter.

TARIR LA SOURCE
Alors, du côté de l’Etat français, on cherche à fermer le robinet du travail clandestin, à « tarir la source » d’emploi, espérant freiner ainsi l’arrivée des kwassa. Un pan de l’incontournable « lutte opérationnelle » menée contre l’immigration clandestine, qui jouit depuis cinq ans d’une constate augmentation des moyens de répression. Multiplication des effectifs de police et de gendarmerie, des contrôles d’identité à terre et des interceptions de kwassa en mer, couverture par bientôt trois radars de tout le lagon, nouveaux bateaux, arrivée d’un avion… La lutte s’intensifie, les kwassa et moteurs saisis sont systématiquement détruits, les passeurs condamnés à de la prison ferme. Et les reconduites s’enchaînent à un rythme effréné, hallucinant – un peu plus de 400 par semaines – avec, bien sûr, leurs effets pervers.
A la gendarmerie, on note que l’efficacité du dispositif entraîne l’augmentation du prix de la traversée et la baisse de la qualité des embarcations : de plus en plus fines avec des moteurs de moins en moins puissants. Accentuant ainsi les risques de naufrage.
Sur terre, le nombre d’enfants abandonnés explose. Une fois interpellés, les parents signalent rarement l’existence de leurs enfants à la police, malgré les arguments de travailleurs sociaux, et, persuadés de revenir vite en kwassa, sont ainsi expulsés sans eux. Laissés à la charge d’un proche, d’un voisin, les enfants se retrouvent rapidement livrés à leur sort, deviennent des « enfants poubelles » qui mendient sur les parkings des supermarchés.
C’est aussi l’histoire de cet homme qui, à l’approche d’une patrouille de police, se jette du haut d’un pont dans une rivière asséchée…

« AUCUNE GLOIRE »
Vincent Bouvier, préfet de Mayotte, justifie cette lutte intensive par « la nécessité de maintenir une cohésion sociale déjà fragile. Nous n’en tirons aucune gloire, c’est un métier dur et nous essayons de le faire avec humanité. » « Dans les kwassa, on pêche des clandestins mais surtout de la misère », appuie Yvon Carratero, commissaire de la PAF.
Mais restent les risques de dérives, de bavures, même rares. Michel Rhin, du Resfim, rappelle le cas de deux mineurs enregistrés comme majeurs au commissariat de Mamoudzou pour pouvoir être expulsés. Celui de ces enfants, aussi, que l’on associerait à des adultes de leur village pour pouvoir les renvoyer sans leurs parents. Ou l’épisode de l’enterrement des 17 morts victimes du terrible naufrage d’un kwassa le 13 août dernier. Malgré l’appel des associations et des élus à ne pas procéder à des contrôles d’identité le jour des funérailles, dix sans-papiers furent interpellés. Deux d’entre eux se rendaient au cimetière enterrer leurs proches, victimes de la misère.

Romain Meynier

TEMOIGNAGE.
Echata Mohamed, immigrée en situation irrégulière

« SI J’AVAIS SU… »

Sans-papiers depuis 2003, Echata, 26 ans, nous reçoit chez son mari, absent. Dans cette case de tôle, elle nous raconte son calvaire.

« Je suis arrivée à Mayotte en septembre 2003. J’avais 22 ans. Je vivais avec ma mère à Grande Comore. J’étais malade, j’avais la rate gonflée et ma mère n’avait pas de quoi me payer des soins à l’hôpital. A l’époque, à Mayotte, les soins étaient gratuits (ils sont depuis payants, mais les sans-papiers peuvent être exonérés en cas d’urgence vitale, ndlr). Ma famille a payé 250 euros pour m’envoyer de Grande Comore à Anjouan, et d’Anjouan à Mayotte dans un kwassa en bois.
A l’hôpital, ils m’ont soigné. Les relations étaient tendues avec les Mahorais. Je préférais parler avec les docteurs blancs. Une fois guérie, ma mère n’a pas voulu que je retourne au pays. Elle me disait : « Ici on souffre. Tes sœurs souffrent, leurs maris les font souffrir. Je ne peux plus m’occuper de toi. Tu es déjà sortie, reste pour tenter ta chance. »
J’ai vécu quelques mois chez un demi-frère qui avait la nationalité française. Je travaillais dans un atelier de couture. J’ai du partir, la situation gênait sa femme. Je me suis installée chez une voisine de Grande Comore.
Je ne voulais pas y rester. Ce n’était ni ma mère, ni mon frère mais elle m’élevait comme une enfant, alors que je suis adulte. J’espérais trouver un mari français pour qu’il m’aide à régulariser ma situation.
La voisine m’en a trouvé un, il a vingt ans de plus que moi. Nous nous sommes mariés il y a un an et demi, sous le régime du Cadi (reconnu devant Dieu, mais pas devant la loi française, ndlr). Nous avons eu une fille. Il n’a d’abord pas voulu la reconnaître, pour éviter que je m’en serve pour demander des papiers. Il dit qu’il ne fera jamais rien pour qu’elle ou moi ayons des papiers. Il dit que si je veux aller en France, ce sera à la nage. Il est pire que les racistes. Il profite de ma situation. Il n’aime pas les clandestins, mais ce sont eux qui s’occupent de ses bœufs. Il ne veut pas que j’ai de carte de séjour, alors que je pourrais travailler. Il veut que je reste à la maison, m’occuper des enfants de ses précédents mariages.
Il peut me renvoyer quand il veut. Il l’a déjà fait deux fois, pendant ma grossesse et quand ma fille a eu deux mois. J’ai été obligée de revenir pour elle. Je n’ai nulle part où aller, pas d’argent, pas de travail. Ici, au moins, je mange. J’ai l’eau et l’électricité, en attendant de trouver une situation.
Je ne peux pas travailler, il me chasserait. De toute façon, il est difficile de trouver un emploi lorsqu’on est clandestin. Les Blancs ne nous prennent plus. Les Mahorais engagent des clandestins, mais il faut travailler du matin au soir pour seulement 100 euros. C’est trop petit, on ne peut même pas payer le loyer.
Récemment, mon mari s’est fiancé avec une Mahoraise. Il prépare son grand mariage. J’ai peur qu’il me renvoie, avec ma fille.
Je ne sors pas beaucoup. Seulement lorsque c’est indispensable, que ma fille est malade et qu’il faut l’emmener à l’hôpital. Sinon, c’est trop risqué. La police est tout le temps dans la rue, à chercher des clandestins.
Si je suis renvoyée à Grande Comore, même sans ma fille, j’y resterais. Pourtant on me reprochera de rentrer les mains vides, sans rapporter de l’argent, une télévision, une machine à laver. Mais, avant, je ne connaissais pas le kwassa. Je viens de l’intérieur des terres, je ne connaissais pas la mer. Je ne sais pas nager. Sur le kwassa j’ai eu peur, je tremblais jusqu’à Mayotte. C’est un gros risque. Quatre ans après je n’oublie pas. Jamais je ne recommencerai.
Ce que je voudrais c’est avoir des papiers. Travailler, élever ma fille. Qu’elle étudie. Moi je n’ai pas étudié. Je ne veux pas qu’elle vive la même chose que moi.
Si j’avais su tout ça, je serais restée à Grande Comore. Là-bas, au moins, j’étais avec ma mère. Je pouvais cultiver la terre. »

Propos recueillis par RM

REPORTAGE.
En patrouille avec la brigade nautique de la gendarmerie

LES CHASSEURS DE MISERE

Sur le lagon, un des plus grands du monde, les services de sécurité patrouillent presque 24 heures sur 24 à la recherche des kwassa. Cette nuit là, c’est un bateau intercepteur de la gendarmerie, le Kondzo, qui prenait la mer. Embarquement.

« Pourquoi il n’éteint pas ces feux ? » Sur le ponton, Guy, le second pilote du Kondzo, regarde s’approcher l’embarcation. Il est 23h15, la nuit est claire. Le Kondzo - l’invincible en shi-maoré -, un Zodiac de 11 mètres propulsé par deux moteurs de 200 chevaux, part pour six heures de patrouille. A bord, quatre hommes seulement. Deux pilotes, deux hommes d’équipage, armés.
A la sortie du port, l’adjudant-chef Grange coupe enfin ses feux de position. Les deux pilotes chaussent leurs « IL », leurs intensificateurs de lumière, pour voir malgré la nuit. Le lagon est calme, lisse. Le bateau file à la recherche d’un kwassa, guidé par son radar de bord et relié par radio à ceux plantés à terre.
« La marée est basse. Si un kwassa arrive, ce sera par une passe, observe l’un des pilotes. Mais ils peuvent arriver de n’importe où. » La traque commence.
A quelques encablures du port, première alerte : une tache rouge sur l’écran radar. Le Kondzo fonce, puis stoppe sur zone. Les hommes scrutent la mer. Rien. « Sans doute un oiseau », conclut l’adjudant-chef.
Plus loin cette fois, c’est une embarcation, tous feux éteints. A l’approche du bateau des gendarmes, une petite lampe s’allume. Ce n’est qu’une barque de pêcheurs. Ils sont deux. L’un, vêtu d’une veste de costume, reste prostré. L’autre plonge et retire sa ligne de l’eau plusieurs fois, exagère le geste pour bien figurer qu’il pêche. Certes, ce n’est pas un kwassa. Pourtant, ces deux hommes sont peut-être des travailleurs clandestins. Souvent à Mayotte, ce sont des Anjouanais qui pêchent dans le lagon, pour le compte de patrons mahorais.
Le Kondzo repart, file vers le sud. Depuis la terre, la station radar lance un appel. Sur leurs écrans, ils ont repéré une embarcation, de l’autre côté de la barrière de corail, qui avance à cinq nœuds. « Il est trop tard pour qu’un pêcheur s’aventure aussi loin, note l’adjudant-chef. A cette vitesse, ça peut-être un kwassa très chargé. » Encore une fausse alerte. Le bateau repéré projette bien trop de lumière. Sans doute un voilier.
Les deux puissants moteurs cessent leur ronronnement. Il est maintenant 2 heures. L’heure de la pause. Le Kondzo dérive, faiblement, au gré des courants. A l’arrière, assis sur les boudins, un gobelet en plastique de café chaud à la main, les hommes racontent. Ils disent les naufrages, les kwassa à la motorisation trop peu puissante qui se mettent en travers puis se renversent, au passage de la barrière de corail. « On a eu cinq naufrages cette année. Et combien en a-t-on ratés ? » Ils se remémorent celui du 13 août, ses 17 morts et quatre survivants, les creux de quatre mètres, cet homme qui s’est maintenu 11 heures dans l’eau, un autre qu’ils ont repêché mort. Et ce bébé qu’ils ont tenté de réchauffer avant qu’il ne meurt, lui aussi, à l’hôpital de Mamoudzou. Ils disent la misère, les barques de résine dépassant à peine de l’eau, surchargées de pauvres gens et de zébus. Et puis la drogue parfois, qu’ils retrouvent à bord. Ils parlent du passeur qui, les voyant s’approcher, abandonne la barre à un gosse pour se fondre parmi les migrants. « Souvent, on le repère car il n’a pas le temps d’ôter son gilet de sauvetage, glisse le second pilote. Il est le seul à en porter un. » Ils évoquent cette gamine enfin, « huit, dix ans peut-être », avec, au bras, une double fracture. « Dans certains kwassas, on trouve des gens perfusés », lâche, résigné, l’adjudant-chef.
Pourtant, il faut repartir, continuer à chercher. A l’aube de cette nuit-là, aucun kwassa n’aura été intercepté.

Romain Meynier

Au Centre de rétention administrative (Cra)
DETENUS « A L'AFRICAINE »

Il devrait céder sa place à un nouveau bâtiment, fin 2008. Le Centre de rétention administrative (Cra) de Mayotte, où transitent les immigrés clandestins interpellés avant d’être reconduits au Comores, est le point noir du dispositif anti-immigration. « Il ne présente pas de conditions assez dignes », reconnaît le préfet, Vincent Bouvier. Pourtant, l’atmosphère y est calme, les migrants en attente saluent les policiers, sourient. « Ils ne restent en général que quelques heures, précise Yvon Carratero, commissaire divisionnaire de la police aux frontières. Si on ne peut pas les renvoyer rapidement, on les relâche. Il n’y a pas de tensions. La reconduite, ce n’est qu’une demi-heure d’avion, ça n’a pas le même aspect dramatique qu’en métropole où elle s’accompagne d’un sentiment d’irrémédiable. Ici, avec de l’argent, trois jours après on peut être revenu en kwassa. »
L’ambiance est sereine donc, mais le lieu lui-même fait frémir. Ce Cra n’est qu’un simple hangar, vétuste, avec un toit de tôle et des brasseurs d’air, sans salle pour recevoir les familles ni local pour installer une antenne médicale. Il y a l’eau, bien sûr, des rangées de douches et de toilettes turques, un téléphone, des grands plats de fer où l’on sert riz et poulet. Et puis trois grandes salles, vides, une capacité de 130 personnes qui patientent sur des nattes, à même le sol. Pas de bancs, pas de lits, pas d’intimité. « Ça peut choquer quand on vient de métropole, reconnaît, résigné, Yvon Carratero. Ce sont des conditions à l’africaine. » La loi, elle, reste française. Pas les standards d’accueil.

RM