Monde-Témoignages d'expatriés de retour en France
Pour beaucoup d’expatriés, partir c’est aussi, un jour, revenir. Et ces retours sont aussi divers que les gens qui les vivent. Que l’on se soit exilé un an ou dix, dans un pays européen ou au fin fond de la brousse, que l’on soit enfant ou adulte, seul ou en famille, quitter l’étranger pour revenir en France n’aura pas le même sens. Avec une constante tout de même. Le retour n’est jamais facile. Témoignages.
PARTIR, MAIS PAS TROP LONGTEMPS
« Plus tu restes longtemps plus il est dur de rentrer », constate Eric, 30 ans, qui a volontairement limité son expatriation à New York à dix mois avant de revenir sur Paris. Cécile, 27 ans, ingénieure agronome engagée dans une mission humanitaire en Centrafrique, s’est elle aussi refusée à renouveler son contrat arrivé à échéance. « Si j’avais prolongé une fois, après pourquoi pas deux… » Un retour rapide donc, parfois lié à des choix professionnels.
LA CRAINTE D’ÊTRE CATALOGUÉ
Si Anne, 27 ans, fille d’expatriés puis expat elle-même, juge que ses expériences professionnelles à l’étranger sont « un plus, prouvent que je bouge, que je suis adaptable », Cécile craignait au contraire, si elle poussait son contrat au-delà d’un an, d’être « classée ». « Si je repars encore, il sera alors plus difficile de trouver du boulot à Paris », avance-t-elle. Eric fustige lui ces « DRH français » qui lui demandent « pourquoi il n’est pas resté là-bas. Le anglo-saxons eux trouvent normal que tu aies voyagé, changé plusieurs fois de travail… » Un ingénieur d’une grande firme pétrolière évoque quant à lui ces expatriés définitivement catalogués « expat Afrique » après avoir travaillé plus de trois ans sur le continent noir. On ne leur propose plus alors d’autres destinations.
UNE VIE CONSTRUITE AILLEURS
Mais, au-delà du travail, plus les années passent, moins le retour en France prend sens. La vie se construit ailleurs, le pays d’origine évolue. C’est l’histoire de ce français, installé depuis des années au Venezuela qui, de retour dans l’hexagone après une rupture familiale, prend conscience que sa vie n’est plus ici mais là-bas. L’image qu’on avait de la France colle ainsi rarement à ce qu’elle est devenue, ni même à ce qu’elle a jamais été. La mémoire est trompeuse, sélective, prompte à fantasmer, à tordre le réel.
CHOC CULTUREL
Car son pays, on a beau le connaître, y avoir toujours vécu, le retrouver après une expérience à l’étranger s’apparente parfois à un choc culturel. Cécile, de retour de mission humanitaire, se sent agressé par « l’ultra consommation » et peine à se confronter à « l’administration française, horrible ». « Après être rentrée, poursuit-elle, j’ai passé un mois et demi à vadrouiller, fuyant un peu mon appart parisien ». Eric, lui aussi, a passé « deux mois à faire la fête, à droite à gauche », avant de se poser et de prendre une claque. « J’ai du mal à me réadapter à la mentalité française, mois speed que celle des anglo-saxons. Et c’est bizarre aussi de perdre sa langue, puis de la retrouver. J’ai continué longtemps à rêver en anglais. Et le parler me manque. »
COMME TOUT LE MONDE
Hélène, 43 ans, partie deux ans au Bénin avec son mari et ses filles, évoque, à son retour, un autre manque. « L’Afrique me manquait, la proximité, les rapports humains. » Clothilde, sa fille, adolescente à l’époque, remarque que, du fait de sa différence, « à l’étranger on est un peu exceptionnel. Quand on rentre en France on redevient comme tout le monde, on se fond dans la masse. C’est un peu égoïste mais ce n’est pas facile à vivre. »
UN NOUVEAU RYTHME
Clothilde se souvient aussi de la difficulté à s’adapter à un nouveau rythme, à l’école notamment. Du changement de climat aussi, et de loisirs. « Là-bas il faisait tout le temps chaud, on passait notre temps dehors. A Paris, on ne savait pas quoi faire. Là-bas, on allait tous les jours à la plage. J’en avais marre. Mais après ça me manquait. En fin de compte, qu’on soit ici ou là-bas on râle toujours… » A son retour Clothilde avait 13 ans. Sa sœur aînée, elle, entrait directement dans un grand lycée parisien. « Elle était perdue, raconte sa mère. Elle ne retrouvait plus le côté familial de Cotonou. » Et pourtant, Clothilde le rappelle, « Nous avions vécu à Paris auparavant. Je rentrais dans un milieu que je connaissais déjà ».
UN PARTAGE D’EXPERIENCE DIFFICILE
Ce milieu que l’on retrouve, c’est aussi les proches, la famille que l’on a perdus de vue un temps. « On les voit forcément moins quand on n’est pas là, note Hélène. Et on a vécu tellement d’expériences qu’il y a un décalage au niveau du discours. » Cécile juge « le partage d’expérience difficile. J’ai beau raconter, ils ne comprennent pas vraiment, il faut toujours contextualiser. » Même les couples en pâtissent, surtout quand l’un est parti et l’autre est resté. C’est le cas de Cécile qui assure connaître « l’univers » de son ami resté en France et pouvoir « plus vite me remettre à sa page, que lui à ma page de l’étranger ». Anne confie quant à elle qu’« on [l]’a souvent quittée parce qu’[elle] partait ». « Au bout d’un moment, avance-t-elle, vers 30 ans et surtout chez les filles, les expatriées célibataires se demandent un peu à quoi bon... »
UN PEU TOUT SEUL
Retrouver ses amis n’est pas toujours plus aisé. Chacun a vécu de son côté, les rythmes ne sont plus les mêmes. « Tu ne partages plus le quotidien des gens, ils n’ont plus l’habitude de t’appeler », déplore Anne. Cécile, en recherche d’emploi, accuse le coup du chômage, se sent un peu « toute seule ». Quelques années plus tôt, pour sa première mission humanitaire à l’étranger – un stage au Sénégal -, elle avait pu compter au retour « sur la solidarité avec tous les potes de l’école qui rentraient aussi de stage ». Aujourd’hui, elle reste en contact avec ses anciens collègues rentrés en France. « Discuter avec des gens qui vivent la même expérience permet de relativiser, de se dire c’est cool, je ne suis pas toute seule. »
CONSERVER DES LIENS
Ainsi, de retour, certains se tournent, parfois presque par hasard, vers ceux qui ont aussi vécu ailleurs, seuls à même de les comprendre pensent-ils. « Tous mes amis sont déjà partis à l’étranger », note Anne. Hélène, elle, s’est construit « son petit coin d’Afrique en France ». Et beaucoup cherchent enfin à conserver des liens avec ceux restés là-bas. Cécile les joint par Skype, Hélène reçoit l’été des amis béninois.
ETRANGER DANS SON PROPRE PAYS
Et que dire alors de ces enfants d’expat qui n’ont jamais connu la France, qui ont toujours vécu ailleurs. De ces expatriés à l’envers, de ces « étrangers dans leur pays » comme se définit l’une d’eux, souvent débarqués seuls en France après le bac pour poursuivre des études. « Notre maison c’est l’Afrique, insiste Lucie, 21 ans, fille d’expatriés sur le continent noir. Ici tout est compliqué, tout est cher. Mes frères et soeurs et moi, nous sommes en France pour les études mais on compte tous retourner vivre là-bas. L’Afrique c’est une grande famille, on se voit tous tout le temps. Ici c’est plus dur de se faire de vrais copains. Tout le monde a son petit groupe. »
UNE FRANCE EXOTIQUE
Anne, fille d’expat elle aussi, va dans le même sens. « En France on ne rencontre pas les gens spontanément. Ils ont déjà leur vie, leurs amis. » Pour Clémentine, 25 ans, qui a passé son enfance et son adolescence en Côte d’Ivoire puis en Indonésie, « arrivée en France tu n’as plus de racines, plus de potes. Et pas les mêmes références que les jeunes d’ici. Tu racontes des choses de ton quotidien qui ne leur parlent pas. Tu passes pour un extraterrestre ».
En revanche, cette arrivée en terre inconnue peut aussi être source de plaisir, « d’exotisme » même, évoque, gourmande, Clémentine. « Tout est nouveau. Et on parle ta langue. Tu as accès à une offre culturelle qui n’existe pas dans des pays plus pauvres ou de langue différente. Le cinéma, les bouquins… Tu rattrapes plein de choses. C’est ici, à 17 ans, que je suis allée à mon premier concert ! »
LE GOÛT DU VOYAGE
De retour de Chine où elle a travaillé un an, Anne ose aussi l’enthousiasme : « Plus je pars, plus j’aime la France. A la base j’étais assez critique. Pour moi la France c’était l’immobilisme. Mais c’est tout de même un beau pays, riche, bien entretenu, on y mange bien, on y profite d’une qualité de vie agréable. J’adore mon pays et je le revendique de plus en plus. » Restera-t-elle en France pour autant ? Pas forcément… « Je pensais me poser mais je candidate déjà ailleurs… J’ai goûté au voyage, et je m’ennuie vite. Je suis moins trouillarde, j’ai déjà été confrontée à la nouveauté. Je sais que je suis adaptable, je n’ai pas peur de faire une valise. »
LE MONDE LEUR APPARTIENT
Tous sont ainsi titillés par un nouveau départ. Durant les trois années qui ont suivi son retour du Bénin, Hélène est repartie six mois par an vivre à Cotonou. Aujourd’hui, après avoir repris des études qui l’ont encore et toujours tournée vers l’Afrique, elle a monté un festival dans le sud de la France consacré à la création contemporaine africaine et destiné à accompagner des projets au Bénin et au Togo. Elle évoque ses filles qui, après leurs deux ans au Bénin, « n’ont plus de frontières. Le monde leur appartient ».
REVENIR POUR MIEUX REPARTIR
Clothilde le confirme. Elle s’apprête à partir six mois au Sénégal, faire un mémoire sur le développement. « Je n’aurai pas eu cette idée si je n’avais pas vécu au Bénin », glisse-t-elle. Convaincue qu’elle ne retrouvera pas en France « un boulot aussi riche, intense », Cécile cherche un emploi au siège d’une ONG qui l’amènerait à s’envoler pour des missions ponctuelles à l’étranger. Eric souhaitait se poser au moins un an en France, « pour ne pas être dans le voyage permanent, la fuite. Cela fait un an et demi que je vis à Paris, sans regret, mais ça a été la plus grosse remise en question de ma vie. Très vite j’ai eu besoin d’avoir un autre projet à l’étranger. Ce sera un tour du monde. Mais c’est important de prendre le temps de renter vraiment, savoir poser ses bagages pour mieux repartir, partir différemment. »