Venezuela- Les musiciennes des prisons

Paru le 26 Juillet 2011
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Localisation : Amérique du sud

La musique classique est une nouvelle source d'espoir pour des milliers de prisonniers au Venezuela. Un moyen de répondre à la violence chronique des centres pénitentiaires.

La musique classique est une nouvelle source d'espoir pour des milliers de prisonniers au Venezuela. Un moyen de répondre à la violence chronique des centres pénitentiaires.

Trois cents détenus trouvent la mort chaque année au Venezuela. Une mutinerie au mois de juin dans le centre pénitentiaire El Rodeo a suscité l'intervention de 4000 membres des forces armées. Après un mois de conflit, le bilan est lourd: 30 décès.

A quelques kilomètres de là, dans une autre prison qui compte 900 détenues au lieu de 200, aucun signe de tension. Derrière les barbelés du centre pénitentiaire pour femmes de Los Teques, une ville proche de la capitale Caracas, il s'échappe des immeubles gris des chants aigus, des notes de violons et le sifflement de flûtes traversières.

Après avoir traversé une cour où des prisonnières discutent sur une nappe étalée dans un petit coin de verdure, croisé une vendeuse de café hélant la clientèle, grimpé quelques escaliers, l'orchestre se dévoile dans une petite salle tout juste assez grande pour contenir la cinquantaine de musiciennes.

Le réseau des orchestres symphoniques pénitentiaires a été créé en 2007. D'après le coordinateur de l'ensemble du réseau, Lenin Mora, il compterait aujourd'hui 1540 participants, dont 30% de femmes. Au Venezuela, pays de la salsa mais aussi de la musique classique, cette initiative n'étonne pas.

Ce programme était développé par le ministère de l'Intérieur et de la Justice et par la fameuse Fondation musicale Simón Bolivar, plus connue sous le nom de Sistema, qui, créée dans les années 70, a fait connaître les orchestres de jeunes Vénézuéliens partout dans le monde.

Lutter contre la violence carcérale et faciliter la réintégration dans la société sont les deux objectifs du programme. "Nous allons bien au-delà de la seule musique. Nous inculquons des valeurs, nous responsabilisons les prisonniers par le biais de choses simples comme par exemple prendre soin de son instrument", explique Lenin Mora, à l'origine du projet. "Jouer en orchestre développe des qualités comme le respect d'autrui et le travail en groupe", poursuit le coordinateur.

La grande Timea Fekete, Hongroise et violoniste, va dans le même sens. "Quand une nouvelle arrive, tout le monde l'aide à lire une partition", dit-elle. Elle se rappelle avec précision quand elle a décidé de rejoindre l'orchestre. C'était il y a un an et trois mois. Incarcérée il y a 8 ans pour trafic de drogue, elle comptait les mois. Il ne lui en restait "plus que 17". Tout en jouant seule à l'écart du groupe, elle raconte que dans un environnement de stress, la musique lui "apporte la tranquilité."

"Jouer, chanter et lutter"

Une flûte traversière à la main, Yelannie Perez parle de "l'envie de liberté" un peu assouvie quand elle se met à souffler dans son instrument. Elle qui a choisi la flûte pour "pouvoir jouer la chanson de Céline Dion dans Titanic" s'essaye désormais à la marche triomphale de Fiedrich Haider. La participation à l'orchestre permet aux musiciens de réduire leur peine. A 24 ans, la jeune femme a repris espoir: "Quand je suis arrivée, je pensais que tout était terminé. Maintenant je sais que tout peut être différent, que les erreurs peuvent ne pas se répéter."

"Jouer, chanter et lutter" est peint sur le mur blanc de la salle de répétition. Les musiciennes luttent d'abord contre le temps, la mélancolie et l'angoisse: "Quand j'ai un moment de dépression, que je pense à mes deux enfants, je vais chercher mon violon. Mon violon c'est tout maintenant", résume Marie Judith Latouche, 31 ans, soigneusement maquillée.

Des concerts sont donnés au sein même du centre pénitentiaire, plus rarement à l'extérieur pour des raisons administratives. Un moment important pour ces femmes. "Ma famille est venue me voir jouer ici. Ma mère était très touchée. Elle était fière et m'a dit que j'avais changé", poursuit celle qui était infirmère dans la vie civile. "Les musiciennes changent. Elles prennent soin d'elles. Même visuellement il y a une différence avec les autres prisonnières", renchérit Margarita Carreño, chargée de la promotion du programme. Pour Andres Aragon, "premier chef d'orchestre du monde d'un centre pénitentiaire": "la discipline arrive très vite. Il y a rapidement un respect vis-à-vis du professeur."

Faire carrière

A raison de 8 heures de cours par jour, quatre jours par semaine, les progrès sont rapides. Cependant, comme les sorties et entrées des musiciennes sont importantes, renouvelant sans cesse le groupe, le niveau n'atteint pas celui des professionnels: "Il est rare de suivre la même personne 4 ans de suite. Nous reprenons donc des adaptations. Mais le niveau est suffisant pour faire des interventions en public. Quand elles jouent, elles ne font pas semblant, se sont des musiciennes."

Aucune n'envisage de se séparer de son instrument, beaucoup rêvent de débuter une carrière à l'image de certains rares prisonniers qui sont devenus professeurs de musique pour enfants ou encore luthiers. A l'avenir, Lenin Mora envisage de mettre au point un projet plus professionnalisant. Le réseau des orchestres symphoniques pénitentiaires n'en est pas encore à ce stade mais une victoire majeure a déjà été remportée: seulement 1% des musiciens-prisonniers récidivent.