Venezuela - Le prêtre des barrios
Bruno Renaud officie depuis 45 ans dans les quartiers démunis de Caracas, connus pour leur violence. Sa vie est dédiée à la "libération" des pauvres.
Bruno Renaud officie depuis 45 ans dans les quartiers démunis de Caracas, connus pour leur violence. Sa vie est dédiée à la "libération" des pauvres.
Dans la rue qui serpente entre les maisons ocres du barrio, l'équivalent vénézuélien des favelas, le prêtre belge Bruno Renaud dit la messe. Dans ce quartier populaire de Petare, ville limitrophe de la capitale Caracas, une quarantaine de personnes l'écoutent attentivement et rigolent de bon coeur à chaque plaisanterie lâchée par cet homme d'Eglise. "C’est le seul qui ose venir. Il a beaucoup fait pour le quartier", sourit Esperanza Valdes, 78 ans, assise sur une chaise en plastique.
Bruno Renaud, qui a étudié la théologie et l'histoire de l'Antiquité à l'Université catholique de Louvain, est venu s'établir au Venezuela il y a presque 45 ans. Il a choisi de vivre à Petare, une des villes les plus dangereuses du pays, pays lui-même reconnu pour sa violence extrême (selon les chiffres officiels il y aurait eu 48 homicides pour 100.000 habitants en 2010, contre 1,4 en France selon le PNUD en 2008).
Ce grand homme de 71 ans aux cheveux blancs coupés courts et aux yeux bleus pétillants côtoie la dangerosité de la ville tous les jours. Récemment, c'est l'histoire d'un adolescent lacéré par une lame de rasoir en pleine rue alors qu'il faisait encore jour qui l'a marqué.
Des livres et des soins
Alors que des têtes apparaissent aux fenêtres pour assister à l'office, Esperanza poursuit: "Grâce à lui, nous avons un centre de santé et des bibliothèques." Des années 70 au début des années 90, le prêtre a mis en place une vingtaine de bibliothèques dans des quartiers qui n'avaient pas alors un accès facile aux centres culturels. Aujourd'hui, certaines s’autogèrent, d'autres ont été incorporées au réseau des bibliothèques nationales. Le centre de santé permet aux habitants de consulter des médecins et fonctionne depuis plus de 30 ans.
Bruno Renaud raconte sur le ton de l'humour comment il a pu construire ce centre. Une vieille dame, "pas très loquace" a, à son grand étonnement, accepté immédiatement de vendre sa maison afin que le prêtre puisse mener à bien son projet. "Tout est violent dans ces quartiers, les barrios, l'hospitalité est violente, la générosité est violente et l'amour est violent", explique-t-il.
Dans les quartiers où il officie, il lui est difficile de faire plus de cinq mètres sans qu'une personne vienne lui serrer la main ou engager la conversation. "Ici Bruno est aimé et respecté. C'est un ami", témoigne Humberto Segovia, chauffeur de camion. "Avec mon grand nez et ma peau bien blanche, je ne passe pas inaperçu. Pourtant les habitants m'ont accueilli comme un des leurs", rigole l'intéressé.
Il regrette que l'Eglise catholique ne soit pas plus présente. "Il n'y a pas de communion avec les plus pauvres. Nous sommes face à une Eglise assistantialiste qui épisodiquement fait des dons sans s'investir durablement aux côtés des plus démunis."
Bruno Renaud, par sa vie consacrée aux pauvres, peut faire penser à l'engagement de Mère Teresa. La comparaison ne lui plairait pas du tout. Il ne cherche pas à aider les habitants de Petare mais à les "libérer". Proche de la théologie de la Libération, courant de pensée théologique né en Amérique latine qui a pour but de "libérer" les plus démunis de leur condition, son exemple serait plutôt à chercher du côté d'Oscar Romero, archevêque de San Salvador (capitale du Salvador), qui s’était opposé au gouvernement militaire et à l’ingérence américaine.
Des prises de positions franches
Bruno Renaud se définit comme "militant chrétien". Chaque jeudi, Ultimas Noticias, un des rares journaux à ouvrir ses pages à des opinions diverses, publie ses chroniques aux prises de position franches. Sur un ton souvent humoristique, parfois sarcastique et volontiers ironique, il égratigne le Pape, fait des allusions aux conservatismes de la conférence épiscopale vénézuélienne. Il reproche à la hiérarchie catholique de son pays d'adoption d'avoir "toujours été dans la réaction" et d'utiliser "la chaire de vérité et le lutrin pour faire de la politique."
Il s'oppose à l'antichavisme systématique de l'Eglise. "Tous les jours, je vois des changements dans les quartiers. Le peuple s'est levé pour étudier, il a des droits à la santé, le chômage a diminué et il y a une attention à toutes les couches de la population." Et de souligner les problèmes que n'a pas su régler le gouvernement socialiste: "L'insécurité, la centralisation extrême, les réformes désorganisées..."
Cette liberté de ton ne semble pas du goût de tous. Professeur de l'histoire des idées et de l'Eglise primitive à l'Institut de théologie pour les religieux et l'Université catholique Andres Bello à Caracas, il a aussi enseigné au sein d'un séminaire de Caracas, avant d’être démis de ses fonctions en 1972. Réintégré, il est de nouveau mis à la porte en 2005, sans que les motifs ne lui soient révélés.
Ses fidèles ne semblent pas au courant de ces prises de positions. "Je n'ai pas tout de suite fait le lien entre le chroniqueur et le prêtre en face de chez moi", avoue Nestor Segovia, athée revendiqué et membre du conseil communal (organe de décision communautaire local). Ils savent que le prêtre est un appui. Il suffit de rendre visite au septuagénaire dans son appartement. Il y a sans cesse des va-et-vient, des habitants venus chercher de l'écoute, des conseils ou tout simplement partager un moment avec leur ami.