Venezuela: Une vague d’expropriations génère des tensions
Plus de 20 000 hectares de terres ont été « récupérés » par l’État de Hugo Chavez dans le nord-ouest du pays. Les propriétaires réfutent les accusations d’exploitation de leurs ouvriers.
Plus de 20 000 hectares de terres ont été « récupérés » par l’État de Hugo Chavez dans le nord-ouest du pays. Les propriétaires réfutent les accusations d’exploitation de leurs ouvriers.
SANTA BARBARA DEL ZULIA
De notre envoyé spécial
«Quand j’ai commencé à travailler, il y a un an, nous étions payés une misère, 50 ou 60 bolivars (8,5 à 10 €). On n’avait pas d’aide quand on tombait malade », raconte Carmen Ranquel. ouvrière agricole dans l’hacienda Hoya Grande, perdue au milieu de champs de bananes, elle explique que sa vie a radicalement changé depuis décembre. Le grand propriétaire qui l’employait a été exproprié par le gouvernement vénézuélien. À l’ombre d’un préau où une vingtaine de femmes en tablier épluchent le fruit encore vert, elle assure que désormais « elle est mieux
payée et travaille moins ».
L’hacienda Hoya Grande fait partie des 47 propriétés « sauvées »,comme les qualifient les militants socialistes, c’est-à-dire expropriées, car les ouvriers seraient exploités – « réduits en esclavage » selon le gouvernement – et les terres agricoles insuffisamment utilisées. « Les huit heures de travail quotidien sont loin d’être respectées dans beaucoup d’haciendas, affirme Luis Fino, membre du Front paysan et chargé d’enquêter sur les abus. Les ouvriers agricoles travaillent de 3 heures du matin jusqu’à 10 heures, pour recommencer à 14 heures jusqu’à 19 heures. » de quoi justifier la politique du gouvernement Chavez
Accompagné de cinq collègues, Richard delgado attend son tour dans le nouveau bâtiment climatisé de l’Institut de la réforme agraire (Inti), au coeur d’une autre ferme « récupérée », La Gloria. Cet employé d’une entreprise d’aquaculture produisant des crevettes raconte : « Avec les 300 à 800 bolivars par mois (51
à 137 € environ alors que le salaire minimum est de 1 200 bolivars, 205 €, ndLR) que nous gagnions, il était même impossible de s’acheter les crevettes que nous produisions. » du jour au lendemain, lui et les plus de 300 employés de cette ferme de crevettes se sont retrouvés sans travail.
L’entreprise a abandonné les 500 à 600 hectares dédiés à l’aquaculture. Un dossier posé sur les jambes, Richard delgado est venu « dénoncer » cette sous-exploitation de la terre auprès du coordinateur de l’institution, Felix Acopio, dont le bureau
ne désemplit pas. Il espère qu’une inspection sera diligentée et que la coopérative qu’il a fondée pourra prendre en main les terres.
Si le gouvernement a décidé de frapper ici, c’est que la région, avec ses riches élevages de bovins et ses grands champs de bananiers de la région « Sud du lac », approvisionne tout le Venezuela. Maria Malpica, maire de Santa Barbara, la principale
ville de cette riche région rurale (150 000 habitants), est fière : « Nous produisons ici presque 50 000 tonnes de viande par an et la moitié des produits laitiers vendus dans le pays, sans compter les centaines de milliers de tonnes de bananes plantin. »
Mais selon l’État, les grands propriétaires ne produisent pas
suffisamment et préférent exporter leurs produits. dans une propriété à quelques kilomètres de là, l’éleveur Renato Rincon assure qu’il aimerait faire mieux avec ses 265 hectares. Mais que, très endetté et devant faire face à des coûts qui ne cessent d’augmenter, il n’a qu’une faible marge de manoeuvre : « Pour produire plus, je devrais investir et acheter des machines agricoles, dit-il. Or avec une inflation de presque 30 % et la peur d’être exproprié, je ne peux pas. »
Ses huit employés ne se plaignent pas. Giovanni Galbal, ouvrier
agricole, vient de terminer de vacciner et peser les vaches afin qu’elles soient prêtes pour la prochaine vente. Comme son père et ses frères, il travaille pour Renato Rincon. « Je suis payé 1 500
bolivars par mois, et à temps », affirme-t-il. Son ami Pipo est arrivé dans la propriété il y a un mois, et lui aussi sait qu’il y a bien pire : « Mon ancien chef, qui s’est fait exproprier,
ne voulait pas que j’aille voir ma famille à Noël, alors je suis
parti. Et je gagnais 300 bolivars de moins qu’aujourd’hui. » Reste que le confort est des plus sommaires : les ouvriers dorment dans des hamacs, et dans leurs maisons sans meuble,leurs vêtements gisent par terre.
Le calme apparent chez Renato Rincon ne doit pas faire illusion.
Car dans la région, l’incompréhension entre propriétaires et gouvernement génère des tensions palpables. Les routes sont coupées par des barrages militaires, les jeeps quadrillent la ville, depuis que la région du Sud du lac est devenue « district militaire » fin décembre.
Le 8 janvier, les anciens bureaux de l’Inti ont été incendiés. Le président du syndicat des éleveurs, suspecté d’être le cerveau du délit, est en fuite. Neuf personnes ont été emprisonnées deux jours plus tard pour « acte de terrorisme ».Les éleveurs se sentent persécutés. Julio Luzardo se rappelle avec amertume le jour où les militaires ont forcé la porte d’entrée de sa propriété d’à peine 50 hectares : « Ils étaient huit
soldats et miliciens armés. Ils ne m’avaient jamais prévenu auparavant et m’ont demandé de signer une notification stipulant le renoncement à mes terres. » Deux jours plus tard, il apprend par la télévision que sa propriété, comme vingt autres, lui sera rendue. Ce qui a été fait. Felix Acopio, coordinateur
de l’Inti, admet que l’Institut a « réalisé que ces producteurs étaient dans le besoin, qu’ils n’avaient pas de grandes surfaces ».